Portrait de carrière : entrevue avec Daniel Litalien, technologue senior principal
Technologue en architecture ayant cumulé 48 années d'expérience, notamment en conception technique d’enveloppe, Daniel Litalien a d'abord rejoint la firme en 1987 à la suite d'une entrevue avec Gérard Pratte. Il est resté jusqu'en 1993, puis il est revenu le 11 octobre 2011, après avoir œuvré dans le domaine de l’inspection et de l’expertise en petits bâtiments et enseigné au Cégep du Vieux-Montréal dans le cadre de la formation aux entreprises.
En hommage au départ à la retraite récent de ce collègue et mentor fort apprécié de ses pairs pour sa disponibilité, sa gentillesse, sa rigueur, son expertise, son attention aux détails, ses connaissances techniques approfondies, sa patience et son écoute, ainsi qu’aux 20 années qu’il a passé avec la firme, nous lui avons consacré une entrevue dans laquelle il s’est livré sur son parcours, sa passion de transmettre son savoir à la relève et son optimisme envers la profession. C’est peu dire : la firme et l’équipe technique perd un gros morceau.
Daniel Litalien, technologue passionné et engagé
Durant sa carrière avec la firme, Daniel a notamment œuvré sur des mandats majeurs dans le domaine de la santé, tels que l'agrandissement et la modernisation de l'Hôpital de Verdun, la dernière phase du nouveau complexe hospitalier du CHUM et le projet d’agrandissement majeur et de modernisation « Grandir en santé » du Centre Hospitalier Universitaire Sainte-Justine. Des projets de longue haleine qui se sont échelonnés sur plusieurs années, où il a fait preuve de diligence et d’un grand savoir-faire.
Les débuts en architecture
Par curiosité, quel métier rêvais-tu de faire enfant ? À quel jeu aimais-tu le plus jouer ?
Je voulais être pilote de course ou pompier. J’ai passé beaucoup de temps à fabriquer des assemblages métalliques, souvent inventés, de véhicules et autres machines avec mes Meccano et des maisons avec Minibricks, l’ancêtre de Lego.
Qu’est-ce qui t’a donné envie d’étudier dans le domaine de l’architecture et de faire le métier de technologue ?
Au début du secondaire, tous les vendredis après-midi se passaient dans une école d’art et métiers où on devait faire des stages en soudure, mécanique automobile, ferblanterie, menuiserie et… dessin technique. C’est là que j’ai découvert que j’étais très bon, mais que je ne connaissais rien à la construction. Faire le cours de technique en architecture, qui combine le dessin technique, que je pouvais facilement maîtriser, à l’apprentissage de la construction de bâtiments, m’est apparu comme une évidence.
Quelle a été ta première expérience de travail en architecture et comment cela s’est passé ?
Quand j’ai fait mes études, je savais déjà que je voulais aller travailler à Sherbrooke. J’ai envoyé mon CV et un dessin d’une coupe de mur à la firme Dupuis, Delorme et Morin architectes (devenu plus tard Delorme et Morin, puis Cimaise). Une semaine plus tard je travaillais pour eux et en arrivant j’ai constaté que mon dessin était affiché sur un mur de leur bureau !
L’expérience avec Jodoin Lamarre Pratte architectes
Tu as travaillé pour Jodoin Lamarre Pratte architectes de 1987 à 1993, puis à nouveau à partir du 11 octobre 2011. Te rappelles-tu ton premier jour au bureau ? C’était comment ?
Les premiers jours j’ai aimé ça tout de suite, parce que c’était sérieux. La raison pour laquelle j’aime le plus Jodoin Lamarre Pratte architectes c’est pour le haut niveau de qualité du travail. Je suis perfectionniste et ça s’insérait vraiment bien dans les façons de faire de la firme.
Comment avais-tu entendu parler de la firme ? Comment y as-tu obtenu un emploi ?
Je connaissais déjà la réputation de la firme. Je travaillais alors pour Dupuis Dubuc (aujourd’hui Ædifica), le contexte économique était difficile et il y avait eu une réduction de personnel. J’ai envoyé mon CV et j’ai été engagé !
Tu as mentionné que Gérard Pratte avait passé ton entrevue. Tu as donc connu les fondateurs, comment étaient-ils ?
Comme Denis Lamarre était principalement en conception et Bernard Jodoin en surveillance et en administration de chantier, j’ai moins interagi avec eux. Je garde un bon souvenir de Gérard Pratte : c’était un gentleman !
Parmi les projets de la firme auxquels tu as participé, quel est celui sur lequel tu as le plus aimé travailler ? Pourquoi ?
Il y en a deux qui me viennent rapidement en tête : l’agrandissement de l’Hôpital de Saint-Eustache à la fin des années 1980 avec Germain Paradis et le projet d’agrandissement et de modernisation de l'Hôpital de Verdun, actuellement en chantier. Pour le projet de Saint-Eustache, c’était la première fois que je travaillais sur un aussi gros projet. J’ai dessiné les élévations, les coupes de murs et les détails de l’enveloppe… tout à la main ! Pour le projet de Verdun, j’étais responsable de l’exécution de l’enveloppe. Pour ce projet, j’estime alors avoir été à pleine maturité dans mon champ de compétence. Je regrette de ne pas avoir encore 40 ans pour continuer...
Et le projet sur lequel tu as le moins aimé travailler ? Pourquoi ?
Pour moi il n’y en a pas. Chaque projet a ses défis techniques de construction à résoudre et ça me passionne.
Quel est l’événement social organisé par la firme que tu as préféré ?
En 2018, pour les 60 ans de la firme, une croisière sur le fleuve a été organisée, entre autres pour contempler les feux d’artifice. Ça a été vraiment très agréable.
Tu as travaillé près de 20 années pour Jodoin Lamarre Pratte architectes. Pourquoi es-tu parti en 1993 et pourquoi es-tu revenu en 2011 ? As-tu ensuite eu envie d’aller travailler pour une autre entreprise ? Si oui, pourquoi ?
L’économie du Québec a été marquée par une récession, des difficultés économiques et un taux de chômage élevé au début des années 1990. La firme a dû procéder à une réduction du personnel. J’ai alors décidé de rejoindre un ami dans son entreprise d’inspection en bâtiment. Nous sommes devenus associés, puis la vie m’a amené ailleurs. J’ai eu l’opportunité d’enseigner au Cégep du vieux-Montréal pendant 5 années et de monter un cours de construction et d’inspection de petits bâtiments pour le Service aux entreprises.
En 2008, après 15 années d’inspections et d’expertises, où j’ai énormément appris — notamment auprès d’avocats —, je suis retourné au travail de bureau en architecture. D’un côté, faire des inspections détaillées de bâtiments est un travail physique exigeant, et de l’autre, le travail d’équipe me manquait. De plus, faire des expertises consistait souvent à traiter individuellement des problèmes pour des acheteurs ou des vendeurs de maisons et occasionnellement de témoigner à la cour, alors que travailler dans une firme d’architecture consiste à concevoir et produire des solutions de construction en groupe. Toute une différence !
Quel est ton meilleur souvenir au sein de la firme ?
Quand je suis revenu en 2011, j’étais content.
Qu’est-ce que tu as le plus apprécié de la firme ?
La qualité du travail. J’ai aussi toujours apprécié la latitude que les patrons me laissaient et la confiance qu’on me donnait, ce que j’appelle « l’oxygène » nécessaire pour s’épanouir personnellement et professionnellement.
Si tu devais résumer en un mot ta carrière chez Jodoin Lamarre Pratte architectes, ce serait lequel ?
Heureux. J’ai été heureux là. Somme toute, j’ai été heureux.

Le métier de technologue
Qu’elle est ta définition du métier de technologue ?
De produire les documents contractuels nécessaires à la construction d’un projet d’architecture, soit des plans et des devis clairs, bien coordonnés et les plus complets possibles dans un temps donné... et d’y trouver son bonheur !
Tu as été technologue pendant 48 années. Qu’est-ce qui a le plus changé dans le métier selon toi ?
L’informatique assurément.
Tu avais un talent particulier pour le dessin à la main. Comment as-tu vécu ça ?
J’étais bon aussi en informatique. (Rires.) J’aimais ça alors le virage a été facile. Savoir s’adapter c’est pour moi le gage d’avoir une carrière de qualité.
Quelle est selon toi la recette d’un bon projet ?
Le premier mot qui me vient à l’esprit c’est le temps. Le temps de bien faire les choses.
En tant que technologue, tu t’es spécialisé dans conception technique de l’enveloppe de bâtiment. Quels sont les éléments les plus importants dans ce champ d’expertise ?
Le respect du concept initial, le contrôle de l’étanchéité à l’air et à l’eau et la conception d’assemblages pérennes pour assurer la durabilité des bâtiments. La bonne coordination des plans et devis est essentielle. Ça facilite aussi la tâche du surveillant de chantier.
Dans toute ta carrière, quel est le projet le plus complexe sur lequel tu as travaillé ?
La surveillance de chantier pour la réhabilitation sismique des blocs 3 et 5 du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine. Un projet compliqué, avec des plans et relevés incomplets faits par une autre firme… Comme Michel Desrosiers (avec la firme de 1971 à 2004, associé principal de 1984 à 2001) avait l’habitude de le dire : « Les problèmes, on les règle le plus possible ici au bureau, pas au chantier ». Si le travail avait été fait comme il faut à l’exécution, j’aurais eu beaucoup moins de problèmes au chantier.
As-tu des conseils à donner à la nouvelle génération de technologues ?
Ces dernières années, j’ai fait exclusivement du télétravail, et surtout avec des jeunes. J’ai beaucoup apprécié leur attention, leur écoute et leur patience. S’ils aiment leur métier et le font comme il le faut, je tiens pour acquis que ça va bien aller. Mais il faut de la patience et ne pas tourner les coins ronds !
La vie professionnelle et personnelle
En rétrospective, est-ce-que ce métier t’a apporté ce que tu cherchais ?
Oui. J’aime construire des belles choses et ça correspond à ma personnalité perfectionniste.
Si tu avais fait un autre métier, qu’aurait-il été ?
Avocat. Je pense que j’aurais été bon, mais un ami m’a déjà dit que je n’aurais pas aimé ça. Donc sans doute un métier plus manuel : électricien, soudeur ou ébéniste.
Quelles ont été tes plus grandes satisfactions professionnelles et personnelles ?
Avoir su m’adapter aux circonstances et avoir eu le flair de saisir la plupart des opportunités qui se sont présentées.
On dit souvent que les professionnels de l’architecture ne comptent pas leurs heures, as-tu trouvé difficile de combiner vie personnelle et professionnelle durant ta carrière ?
Au début de ma carrière oui, mais depuis mon retour avec la firme j’ai bénéficié d’une meilleure culture d’entreprise avec des heures normales.
Quel a été le moment le plus difficile de ta carrière ?
J’ai été appelé à la cour comme témoin-expert plus de 50 fois à l’époque où je faisais des expertises. Au début, j’ai dû apprendre à maîtriser l’art de rester calme et concentré tout en maîtrisant parfaitement mon dossier. Le but ultime était que la ou le juge saisisse clairement et complètement mon témoignage. Je certifie que c’est tout un défi !
Qu’es-tu le plus fier d’avoir accompli ?
Tout ! (Rires.)
Quelle rencontre professionnelle a été ton coup de cœur ? Pourquoi ?
Michel Broz. Je le connais depuis 1987, c’est un bon être humain. Même si on n’a pas la même expertise, il m’inspire par son calme et son professionnalisme. D’ailleurs, j’en profite pour le remercier chaleureusement, et aussi Sylvain Morrier, pour leur appréciation de mes services.
Y-a-t-il quelqu’un que tu considères comme ton mentor, ou une personne qui a particulièrement influencé ta carrière ? Pourquoi ?
Bernard Jodoin (architecte fondateur), très brièvement, puis Michel Desrosiers et Michel Bourassa (architectes associés principaux, respectivement de 1984 à 2001 et de 1996 à 2018). Ils étaient rigoureux, ils étaient bons dans ce qu’ils faisaient et ils étaient généreux pour donner des explications.
Et inversement, avec 48 années d’expérience, des employés ont vu en toi une figure de mentor. Est-ce quelque chose que tu as apprécié ?
Énormément. Je sentais que je leur apprenais quelque chose qu’ils avaient besoin de savoir, que ce soient des détails techniques ou des méthodes de travail. C’est valorisant de transmettre ses connaissances et de partager son expérience, surtout quand c’est apprécié.
Tu es parti à la retraite récemment, qu’est-ce qui va le plus ou le moins te manquer ?
Le plus : le travail d’équipe, trouver des solutions de construction, créer des dessins compréhensibles, rédiger des textes précis, à la limite juridique, et coordonner le tout.
Le moins : Le stress qui vient avec tout ça.
Est-ce que l’architecture va faire partir de ta retraite ?
Oui, mais dans une moindre mesure évidemment. Je vis maintenant sur le bord du fleuve à Rivière-Ouelle et je modifie ma maison en respectant l’harmonie des assemblages de matériaux et la beauté de l’environnement.
Questions en rafale
Thé ou café ?
Café
Matin ou soir ?
Les deux, pour différentes raisons
Brique ou bois ?
Bois
Musée ou randonnée ?
Randonnée
Bureau ouvert ou fermé ?
Ouvert ! Euh… j’ai déjà eu un bureau fermé. Je ne le sais pas. (Rires.)
Action ou réaction ?
Action
Rénovation ou nouvelle construction ?
Rénovation
Party d’huîtres ou Beach party ?
Ohhh j’ai aimé les Beach Party de la firme
Noir & blanc ou couleurs ?
C’est embêtant. Couleurs oui, mais j’ai eu un laboratoire photos noir et blanc pendant quelques années.
Passé ou futur ?
Futur
Été ou hiver ?
Les deux. J’aime beaucoup être dehors.
Roman ou film ?
Les deux
Autocad ou Revit ?
C’est difficile de répondre sans nuancer. Revit pour le 3D, c’est génial quand la volumétrie est complexe, mais Autocad c’est plus simple, alors les deux. (Rires.)
Modernisme ou post-modernisme ?
Modernisme
Penser ou agir ?
Agir
Vélo ou voiture ?
Vélo
Maison à la campagne ou condo en ville ?
Maison sur le bord du fleuve (Rires.)
Londres ou New York ?
Londres
Acier ou béton ?
Acier
