Portrait de carrière : entrevue avec Ken Hampson, architecte estimateur
L’architecte Ken Hampson a rejoint Jodoin Lamarre Pratte architectes au tournant du nouveau millénaire. Il est progressivement devenu responsable de l'estimation des coûts de construction, rôle qu’il a tenu jusqu’à la fin de sa carrière à la toute fin de l’année 2019. Doté d’une très bonne humeur et d’un enthousiasme contagieux, il était reconnu au sein de la firme pour sa disponibilité et sa générosité, mais aussi pour sa passion pour l'histoire, la culture et le partage de connaissances.
Impliqué sur un très grand nombre de projets de toutes les envergures en raison de sa spécialisation, il a appuyé les équipes dans l’estimation des coûts en combinant astucieusement ses connaissances théoriques sans cesse renouvelées des coûts de la construction, sa vaste expérience et sa compréhension approfondie des systèmes architecturaux. Il avait à cœur de développer des estimations réalistes, contribuant au succès de la réalisation des projets en respect des budgets prévus, sans compromis sur la qualité architecturale.
En hommage à son départ à la retraite et aux deux décennies qu'il a passées avec la firme, nous lui avons consacré une entrevue dans laquelle il revient avec nous sur son parcours, ses souvenirs professionnels et son point de vue sur la spécialisation en estimation, une tâche complexe trop peu mise en valeur dans la profession, alors qu’elle est essentielle à la bonne réussite d’un projet.
Ken Hampson, architecte spécialisé en estimation des coûts de construction
Avant de se spécialiser dans le domaine de l’estimation des coûts de construction, la passion première de Ken Hampson était l’architecture patrimoniale, ainsi que la préservation et la revalorisation de bâtiments anciens et historiques. Il a consacré une bonne partie de ses études à ce sujet et a notamment évolué auprès de l’architecte et professeur Joe Baker (1929-2016), reconnu pour son travail dans le domaine de l’architecture communautaire et son dévouement pour la conservation et la réhabilitation de quartiers ouvriers. L’implication de M. Baker pour la sauvegarde de Griffintown a été documentée dans le court métrage « Griffintown », réalisé par Michel Régnier pour L’ONF en 1972, dans lequel on découvre son travail et celui de ses étudiants en architecture, dont Ken Hampson.
Après plusieurs expériences professionnelles, notamment auprès de Webb Zerafa Menkes Housden Partnership et à son compte (Hampson & Spatz architectes, récipiendaires de deux prix pour leurs rénovations résidentielles), Ken déménage en Angleterre avec sa conjointe Nicole Milette et s’inscrit à l’Université de York, où il poursuit son exploration de la préservation des bâtiments historiques. En 1992, il publie une thèse de maîtrise intitulée Carbuncles or beauty spots ? The design of extensions to historic buildings (Furoncles ou grains de beauté ? La conception des agrandissements de bâtiments historiques), carbuncle étant le terme que le Prince Charles a employé à l'époque pour décrire son dédain pour l’agrandissement très moderne proposé pour la National Art Gallery de Londres, de style néo-classique. À son retour à Montréal en 1994, Ken entreprend une maîtrise en urbanisme à l'Université de Montréal. Il publie « La fonction résidentielle dans le centre-ville de Montréal » en 1996.
Lorsque Ken rejoint Jodoin Lamarre Pratte architectes en 2000, il est d’abord impliqué sur des projets de transformation ou d’agrandissement de bâtiments patrimoniaux, puis il rejoint l’équipe œuvrant sur les phases d’agrandissement majeur de l'aéroport international Montréal-Trudeau 1999-2005 et 2005-2009. Il se plonge également dans la résolution de projets mis en pause en raison de problèmes budgétaires. C'est à ce moment-là qu'il développe une véritable passion pour la discipline de l’estimation, pour laquelle il consacra les quinze dernières années de sa carrière. Parmi les projets majeurs de la firme, il a entre autres été responsable de l’estimation et du contrôle des coûts à toutes les étapes des pavillons Jean-Coutu et Marcelle-Coutu de l’Université de Montréal, du Complexe de diagnostic vétérinaire et d’épidémio-surveillance du MAPAQ et du Complexe des sciences Richard J. Renaud de l’Université Concordia.
L’enfance, les études et les débuts en architecture
Enfant, quel métier rêvais-tu de faire ?
C’était il y a tellement longtemps, alors je ne peux pas trop dire, mais ce n’était pas être pompier ou soldat. Ce qui est curieux c’est que déjà à la petite école, en septième ou huitième année je faisais des petits plans de maison, je ne sais pas trop d’où ça vient.
À quel jeu aimais-tu le plus jouer quand tu étais enfant ?
J’aimais beaucoup jouer au baseball. J’ai pris des leçons de tennis, mais je n’étais pas très bon. Je jouais dehors avec des amis. J’ai aussi suivi des leçons de piano pendant 12 ans.
Où as-tu grandi ? As-tu grandi à Montréal ?
Je suis né à Montréal. Je pesais seulement trois livres alors j’ai passé six mois en incubateur. Dans les années 1940, ce n’était pas une situation facile. Depuis j’ai pris du poids ! (Rires.)
J’ai fait ma première année à Lachine, en français. Mais mon père était militaire, il travaillait en approvisionnement pour l’Aviation royale canadienne. Nous sommes partis au Labrador et j’ai donc fait ma deuxième et ma troisième année en anglais. Il y avait une base militaire là-bas, à proximité du village de Goose Bay, qui avait été construite pendant la guerre comme centre de ravitaillement pour les avions transatlantiques, car à l’époque les appareils n’avaient pas une autonomie suffisante pour se rendre jusqu’en Europe. Après ça nous sommes partis à Vancouver pour trois ans, puis à Ottawa où je suis resté jusqu’à la fin du secondaire.
Qu’est-ce qui t’a donné envie d’étudier l’architecture et de faire le métier d’architecte ?
Quand j’étais à l’école secondaire je lisais sur le sujet et c’était vraiment un domaine qui m’intéressait. À l’époque il n’y avait pas d’école d’architecture à Ottawa alors j’ai soumis ma candidature à l’Université McGill, où j’ai fait mon entrée en 1966. J’ai commencé directement en deuxième année, en raison du secondaire qui est un plus long en Ontario qu’au Québec. J’étais en résidence étudiante et j’avais beaucoup d’amis qui étudiaient à la Faculté des arts. Nous faisions beaucoup la fête jusqu'à tard le soir, mais moi j’avais souvent des cours à 8h le matin. Ça m’est arrivé plusieurs fois de cogner des clous ! (Rires.)
Donc tu étais étudiant en architecture au moment de l’Expo 67, c’était comment ?
En été je travaillais à Ottawa, mais je suis quand même venu souvent à Montréal pour visiter l’Expo. Mon passeport de l’Expo 67 largement estampillé en est la preuve. C’était vraiment excitant !
Comment se sont passées tes études ?
Je n’avais pas de très bonnes notes. J’étais plus impliqué dans la vie sociale du campus, les activités artistiques comme la musique. Je jouais l’euphonium (un petit tuba) dans la fanfare de l’équipe de football de McGill : d’où ma voix qui porte. Mais j’ai quand même réussi mes études ! Puis plus tard en 1991, mon épouse Nicole et moi sommes partis en Angleterre. J’avais obtenu une bourse d’études et Joe Baker, qui avait été un de mes enseignants à l’Université McGill, m’avait conseillé d’aller étudier à l’Université de York où il y avait un programme spécial sur la restauration de bâtiments anciens. J’ai donc fait ma maîtrise en Angleterre, où ma conjointe a entrepris un doctorat en architecture. Nous sommes finalement restés en Angleterre plus longtemps que prévu, ce qui m’a amené à travailler avec un architecte et une avocate sur les questions d’accessibilité aux bâtiments, pour la Tour de Londres et la Royal Opera House par exemple. Les règlements à ce sujet sont très stricts et nous faisions donc toutes sortes d’études de mise en accessibilité de bâtiments historiques.
Quelle a été ta première expérience de travail en architecture ?
Un de mes premiers emplois en sortant de McGill a été chez Webb Zerafa Menkès Housden Partnership (WZMH, alors basée à Montréal et à Toronto et qui a notamment réalisé la Tour CN à Toronto). C’était un emploi très intéressant, avec plusieurs projets commerciaux. Dans ce temps-là, nous faisions des plans sur des feuilles de plastique, avec des mines spéciales qui se brisaient tout le temps… Puis à la fin des années 1970 j’ai travaillé quelques années pour Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, mais je ne suis pas resté très longtemps. Je me suis ensuite lancé en affaires avec Norman Spatz de 1981 à 1989, en créant le bureau Hampson & Spatz architectes. On gagnait alors 2$ de l’heure à l'époque ! Les temps étaient difficiles et comme Marc Laurendeau (à son compte avant de rejoindre Jodoin Lamarre Pratte en 1988, a été associé principal de 1996 à 2013) m'a déjà confié, lui il payait parfois pour finir ses projets ! De 1990 à 1994 nous étions en Angleterre, puis nous sommes revenus à Montréal où j’ai commencé à travailler pour Jean Martel architectes, pour lequel j'ai travaillé pendant six ans. C’était un bureau où nous faisions surtout des projets industriels que je ne trouvais pas très stimuants…
L’expérience avec Jodoin Lamarre Pratte architectes
Tu es arrivé à la firme à l'automne 1999. Te rappelles-tu de tes premiers jours au bureau ?
Oui et je me rappelle surtout de mes premiers projets. Nous travaillions en consortium avec Architem sur des projets de rénovation ou d’agrandissement d’écoles privées, notamment la Selwyn House School à Westmount, et la Bishop's College School à Lennoxville. C’était intéressant de voir cette architecture haut de gamme, tant au niveau des choix de mobilier que des matériaux.
La Selwyn House School est un bâtiment en pierre des années 1930. L’équipe avait proposé un agrandissement assez moderne, mais le comité architectural Ville de Westmount a plutôt préféré quelque chose de très similaire à l’existant. Ce qui a été fait est très beau, mais ça m’a fait réfléchir sur la philosophie architecturale derrière ce type de projet. C’était d’ailleurs exactement le sujet que j’avais abordé à la maîtrise en Angleterre. Lorsqu’un bâtiment historique est agrandi, que doit-on faire ? Doit-on construire selon l'époque actuelle ou reproduire ce qui a déjà été fait ? Je trouvais ça fascinant car c’était vraiment un exemple pratique en continuité avec ma thèse.
Comment avais-tu entendu parler de la firme ? Comment y as-tu obtenu un emploi ?
Ma conjointe Nicole Milette avait étudié à l'École d'architecture de l’Université de Montréal avec les architectes Louis Bellefleur (avec la firme de 1974 à 2013) et Michel Desrosiers (avec la firme de 1971 à 2004, associé principal de 1984 à 2001). Elle avait aussi travaillé 10 années auprès de la firme dans les années 1980 comme consultante en choix de couleurs et matériaux sur quelques projets. J’ai alors écrit une lettre à Louis Bellefleur et un matin j’ai été invité à une entrevue-déjeuner avec Michel Desrosiers et Marc Laurendeau. En réalité, j’ai été engagé à l'automne 1999, comme je devais travailler encore pour Jean Martel. J’ai fait 6 mois en travaillant pour les deux bureaux.
Tu es connu à la firme principalement pour ton travail en tant que spécialiste de l'estimation. Est-ce que tu as été recruté dès le départ pour faire de l’estimation où est-ce que c’est une spécialité que tu as développée par la suite ?
C’est une expertise que j’ai développée avec la firme. L’estimation est arrivée par accident. J’étais impliqué sur quelques projets qui avaient été « mis sur la tablette », car il y avait des problèmes budgétaires. Je me suis alors penché sur les estimations. À la sortie des études en architecture, beaucoup de gens ne voient pas le budget, l’estimation et le contrôle des coûts comme quelque chose d’important, ou en tout cas pas comme quelque chose qui fait vraiment partie du métier d’architecte. Mais moi, je voyais l’importance de faire des estimations à toutes les étapes du projet. Ça prend une certaine approche, et une attitude positive vis-à-vis de l’exercice. De plus en plus les clients sont demandeurs d’estimation, mais il faut aussi leur expliquer qu’une estimation, comme son nom l’indique, c’est uniquement une hypothèse, une évaluation de ce que devraient être les coûts de soumission, ce ne sont pas des chiffres coulés dans le béton ! Michel Desrosiers m’avait encouragé à donner des cours d’estimation à l’Ordre des Architectes, alors j’ai écrit un cours et petit à petit je suis devenu un expert en la matière.
Comment fais-tu pour évaluer les coûts de construction, surtout dans un contexte comme celui que nous connaissons actuellement de surchauffe du marché et de fluctuation importante des coûts ?
Nous utilisons des guides, comme le RSMeans par exemple. Il tient son nom de Monsieur Robert Snow Means, qui était un ingénieur civil dans les années 1940. Il se rendait sur les chantiers et inscrivait tous les coûts de construction dans un petit carnet. Aujourd’hui RSMeans est un guide publié chaque année, qui analyse les coûts des chantiers en Amérique du Nord. Ce sont des coûts moyens, majorés ou minorés selon un taux géographique et selon le type de travaux, également indiqués dans le guide. Il y a plusieurs façons de calculer les coûts, selon l’envergure des travaux, ou en heures par travailleur. Avec l’expérience on apprend à utiliser les méthodes les mieux adaptées selon la portion des travaux que l’on cherche à estimer. Pour les ouvrages métalliques, par exemple, je trouve que la meilleure méthode c’est d’estimer à partir du poids des matériaux. Je décortique les systèmes constructifs, structures ou métaux ouvrés pour obtenir la quantité d’acier, et j’applique un coût au poids. Ça prend de la créativité, il ne suffit pas juste d’appliquer ce que l’on aurait vu dans un autre projet, ou simplement d’utiliser le coût indiqué dans un guide, il faut un regard critique. C’est un mélange entre une connaissance théorique des coûts de construction, l’expérience accumulée, et une compréhension des systèmes architecturaux.
Grâce à la modélisation numérique il est désormais possible de sortir toutes les quantités très rapidement et il y a des logiciels qui vont appliquer un coût unitaire et le multiplier par le nombre d’unités pour sortir une estimation. Mais ça ne veut pas dire que l’estimation est faite, ça prend vraiment un travail d’analyse plus précis et un regard critique, ce que l'intelligence artificielle ne pourrait pas faire, ou du moins pas encore ! Le calcul des quantités c’est le plus important pour bien démarrer une estimation, donc il faut s’assurer de le faire faire par quelqu’un qui a une bonne connaissance du projet et de ses détails. Ensuite, il faut ajuster le tout selon les circonstances, mais là encore, une estimation ne sera jamais un reflet exact de la réalité, c’est un calcul basé sur un certain nombre d’hypothèses.
Parmi les projets de la firme auxquels tu as participé, quel est celui sur lequel tu as le plus aimé travailler ?
J’ai travaillé pendant 20 ans sur les projets d’Aéroports de Montréal (ADM) et j’ai toujours beaucoup apprécié l’importance accordée à la qualité architecturale. Ce qui m’intéressait aussi c’était la complexité des projets, qui se déroulent en lieux occupés avec d’importants aspects de sécurité et des contrôles d’accès pour les personnes qui travaillent sur le chantier. Tout cela entraîne des coûts supplémentaires qu’il faut inclure dans les estimations, car ils peuvent représenter une part non négligeable du coût de construction. Je communiquais beaucoup avec les surveillants des travaux pour connaître les circonstances spécifiques de chaque chantier.
J’ai aussi travaillé sur plusieurs projets comportant des dépassements budgétaires et pour lesquels il a fallu tenir des ateliers d’analyse de la valeur. Il y a beaucoup d’acteurs impliqués dans la prise de décision et ils ne sont pas toujours d’accord. Ce sont des ateliers qui peuvent durer plusieurs jours et toutes les opinions sont prises en compte, c’était un exercice très intéressant.
Et le projet sur lequel tu as le moins aimé travailler ?
En raison de la nature de ma spécialisation en estimation, j’ai été impliqué sur toutes sortes de projets. Chaque projet est un environnement différent et il n’y a pas vraiment un type de mandat que j’aime plus qu’un autre, je suis toujours resté ouvert. Les dernières années, ce que j’ai moins aimé c’est lorsqu’un client exigeait que nous utilisions leurs propres outils et méthodes d’estimation. Cette façon de faire comporte un niveau de détail qui complexifie et alourdit beaucoup le travail. Par exemple exiger une estimation de niveau 3 d’Uniformat II quand on en est seulement à l’étape concept du design, ça a pour conséquence de trop improviser les hypothèses de coûts.
Parmi toutes les réalisations de la firme, laquelle préfères-tu ?
Le Pavillon pour la Paix du Musée des beaux-arts de Montréal, c’est un projet que je trouve vraiment très intéressant.
Tu as travaillé 20 années pour Jodoin Lamarre Pratte architectes. As-tu déjà eu envie d’aller travailler pour une autre firme ?
Non. J’aimais vraiment la culture et la façon de faire. Il n’y a pas ici de « stars » de l’architecture, c'est-à-dire des personnes qui veulent uniquement faire du design et qui considèrent que les autres tâches ne sont pas pour elles. Ici tout le monde est valorisé, même les personnes qui ne sont pas architectes. La conception c’est important et il faut un concept solide, mais c’est peut-être 10% du travail de l’architecte. La réalisation adéquatement supervisée, c’est beaucoup plus complexe et c’est vraiment où se démarquent Jodoin Lamarre Pratte architectes.
Si pendant une journée tu avais pu être une autre personne du bureau, qui aurais-tu été ?
Personne, je crois. De nature, je suis quelqu’un de plutôt gêné alors il y a des rôles que je ne me serais pas du tout vu endosser. Tout l’aspect de négociation par exemple, je n’aurais pas voulu faire ça. Je ne pense pas non plus que j’aurais été un très bon concepteur, ce n’était pas ma force. Je me sentais vraiment à l’aise dans mon rôle de support.
Quel est l’événement social organisé par la firme que tu as préféré ?
Le party d’huîtres et aussi le beach party. Le 50e anniversaire aux pavillons Coutu de l'Université de Montréal et le 60e au Musée des beaux-arts étaient également de très belles soirées. Je me rappelle aussi un été où Michel Hardy (architecte associé fondateur de Cardinal Hardy, firme avec laquelle Jodoin Lamarre Pratte a collaboré pour de nombreux projets à l’aéroport Montréal-Trudeau) avait organisé une journée à son chalet pour toute l'équipe d'ADM, où nous avions beaucoup discuté, notamment de sa passion pour les techniques de construction traditionnelles, une passion qui datait de ses débuts de sa carrière d’architecte. C’était le patron d’une grande équipe, il était très sympathique et proche de ses employés.
Quel est ton meilleur souvenir au sein de la firme ?
Je me souviens d’une discussion avec Monsieur Denis Lamarre (l’un des trois fondateurs de la firme) sur son travail pour la restauration de la chapelle Notre-Dame du Sacré-Cœur. Ses recherches sur l’histoire de la basilique Notre-Dame avaient été importantes pour la réussite du projet. L’histoire de l’architecture c’est toujours quelque chose qui m’a beaucoup intéressé.
Y a-t-il quelqu’un que tu considères comme ton mentor ?
Michel Desrosiers et Marc Laurendeau. Quand j’ai commencé à ADM, ils ont vraiment pris le temps de m’expliquer comment la réalisation des projets fonctionnait au sein de la firme. Ça aussi c’est un bon exemple de la philosophie de travail à la firme, prendre le temps de former les gens, de s’assurer qu’ils sont à l’aise dans leur travail.
Qu’est-ce que tu as le plus apprécié de la firme ?
J’ai toujours beaucoup aimé que les patrons soient très impliqués dans les projets, qu’il n’y ait pas de vedettes. J’ai aussi aimé la façon dont la direction administre les équipes en encourageant et valorisant toutes les spécialisations de la profession. Ce n’est pas quelque chose qui existe dans tous les bureaux. J’ai d'ailleurs beaucoup apprécié recevoir le premier prix de la voix la plus forte au téléphone lors du dernier party d’huîtres du bureau. (Rires.)
La firme a célébré en 2018 son 60e anniversaire. Que lui souhaites-tu pour les 60 prochaines années ?
La firme est actuellement dirigée par une troisième génération d’actionnaires. Il y a toujours eu une volonté de planifier la relève et j’aime le fait que le bureau travaille sur le futur et se pose des questions sur son évolution. Aujourd’hui, il y a de vraies questions qui se posent, notamment de savoir si le bureau va continuer de grossir pour devenir une équipe de plus de 300 personnes, et si c’est compatible avec une culture d’entreprise très conviviale et une attention personnalisée à chaque employé. Au-delà de ça, je souhaite à la firme beaucoup de prospérité et je pense que de développer son expertise dans le domaine de la santé a été et est toujours un excellent choix. Aujourd’hui la génération des baby-boomers arrive à l’âge de la retraite et la demande en soins de santé va augmenter significativement, c’est un domaine beaucoup plus stable que le développement résidentiel, par exemple.
Si tu devais résumer en un mot ta carrière chez Jodoin Lamarre Pratte architectes, ce serait lequel ?
Milieu amical !
Le métier d’architecte et d’estimateur
Qui est ton architecte préféré ? Celui qui t’inspire le plus ?
Je dirais I. M. Pei. J’ai un côté classique ! Dans un tout autre style d'architecture le travail de Frank Gehry est intéressant aussi. Je suis récemment allé à Paris, j’ai visité la Fondation Louis Vuitton et j’ai beaucoup aimé. Mais c’est un contexte particulier, au milieu du Bois de Boulogne, c’est davantage une sculpture dans un parc.
Tu es architecte depuis plus de 40 années. Qu’est-ce qui a le plus changé dans le métier selon toi ?
La technologie ! Je me souviens de mon premier cours d’Autocad dans les années 1980. C’était un petit écran beige, et il n’y avait pas de souris, il fallait taper toutes les commandes au clavier. Alors je collais un petit papier en haut du clavier avec les différentes commandes. Les outils informatiques ont vraiment révolutionné la pratique.
Quelle est selon toi la recette d’un bon projet ?
Le site, le concept et la réalisation. Pendant la réalisation du projet, beaucoup de modifications doivent être faites pour différentes raisons, et les clients ne prévoient pas toujours le temps et le budget nécessaires à ces modifications. En architecture, on parle beaucoup de design, mais l’exécution des plans et devis définitifs et la surveillance de chantier sont des étapes extrêmement importantes, durant lesquelles il faut trouver des solutions tout en ne compromettant pas la nature du projet.
C’est quoi la recette d’une bonne estimation ?
Certains estimateurs voient l’estimation comme simplement une affaire de chiffres. Je ne trouve pas que ce soit la meilleure approche. Pour faire une bonne estimation, ça prend une sensibilité architecturale, il faut aussi bien saisir l’envergure et le contexte du projet. Certaines comparaisons avec d’autres réalisations peuvent être faites, mais chaque mandat demeure unique. Il faut comprendre la logique de conception des détails, les évaluer et savoir les transmettre aux clients avec diplomatie et en partageant notre expérience. Même si les détails ne sont pas encore dessinés, il est possible de parler au concepteur, qui va expliquer la façon dont ils vont être conçus et à partir de ça, il est possible de faire une estimation réaliste. Mais vraiment, comprendre l’envergure c’est tout aussi important que de faire le reste de l’estimation.
À l’étape du PFT ou du concept nous pouvons établir une estimation raisonnable en fonctionnant avec des coûts au mètre carré. Mais la tendance de plus en plus est d’utiliser la méthode Uniformat détaillée dès le concept. Je ne pense pas que ce soit la meilleure méthode, car le projet n’est pas encore assez avancé à ces étapes pour pouvoir l'estimer de façon réaliste. Cela mène à beaucoup d’approximations sur chaque ligne d’estimation, mais comme celle-ci est très détaillée, cela donne un semblant de fiabilité : il y aura des surprises inévitables plus tard.
As-tu des conseils à donner à la nouvelle génération de professionnels ?
De s’intéresser au domaine de l’estimation. Il n’est pas nécessaire de devenir un expert, mais au moins de comprendre comment cela fonctionne. Certains diront que ce n’est pas vraiment de l’architecture, mais je ne suis pas du tout d’accord. Pour protéger la qualité de nos projets, il est essentiel de s’impliquer dans l’estimation dès le début afin de contrôler les changements qui devront nécessairement être faits et s’assurer que le concept n’est pas compromis.
Qu’aurais-tu envie de dire aux gens pour leur donner envie de se diriger vers cette spécialisation ?
Il faut avoir un intérêt pour ce travail, avoir une attitude positive à l’égard de l’exercice d’estimation, mais aussi avoir une conscience architecturale. Ce n’est pas un travail purement comptable de manipulation de chiffres. C’est une tâche à accomplir en collaboration avec l’équipe de professionnels qui travaillent sur le projet.
La vie professionnelle et personnelle
En rétrospective, est-ce que ce métier t’a apporté ce que tu cherchais ?
Je suis tombée dans l’estimation un peu par accident, mais je trouve que c’est vraiment un élément essentiel de la réalisation d’un projet et j’ai toujours été très satisfait de faire ce travail.
Si tu avais fait un autre métier, qu’aurait-il été ?
Historien et chercheur !
Quelles ont été tes plus grandes satisfactions professionnelles et personnelles ?
J’ai aimé travailler avec les jeunes, leur expliquer les choses. Dans les projets, j’aimais aussi les moments de discussion, où il faut collaborer avec plusieurs équipes. Une estimation ce n’est pas coulé dans le béton, c’est le résultat d’un dialogue, pour arriver à des coûts qui correspondent le plus possible à la réalité du projet.
On dit souvent que les professionnels de l’architecture ne comptent pas leurs heures, as-tu trouvé difficile de combiner vie personnelle et professionnelle durant ta carrière ?
C’est arrivé que je travaille le soir ou la fin de semaine, mais ce n’était pas continuel. Chez Jodoin Lamarre Pratte il y a aussi cette culture, de ne pas « brûler » les gens et de les respecter.
Quel a été le moment le plus difficile de ta carrière ?
Quand j’ai lancé mon propre bureau. J’ai trouvé ça vraiment difficile, je n’ai pas beaucoup aimé être en affaires.
Qu’es-tu le plus fier d’avoir accompli ?
Quand je donnais mon cours d’estimation pour l’OAQ, j’aimais beaucoup discuter avec chacun, leur demander pourquoi ils suivaient un cours d’estimation et ça ouvrait toujours des discussions très intéressantes. De manière générale, j’ai toujours beaucoup aimé le dialogue.
Quelle rencontre professionnelle a été ton coup de cœur ?
Quand j’étais chez WZMH j’avais un collègue que j’aimais beaucoup, Bob Herman. Il avait vraiment un talent pour encourager les équipes et à l’époque on dessinait tout à la main. C'était important d’être encouragé, car c’était long.
Tu viens de partir à la retraite, qu’est-ce qui va le plus ou le moins te manquer ?
Me lever à 6h pour éviter les bouchons de circulation près de l'échangeur Turcot, ça ne va pas me manquer ! Mais ma théorie c’est qu’une fois à la retraite, nous avons à 100% le choix des projets que nous allons faire. Je n’ai pas l’intention de m’asseoir dans un coin et de me bercer. J’ai des projets, je soutiens des artistes, et il y a encore plein de nombreuses activités de retraite qu’il me reste à réaliser.
Est-ce que l’architecture va faire partir de ta retraite ?
Pas la pratique, non. Je compte déclarer ma retraite auprès de l’Ordre des Architectes du Québec. (Rires.)
En rafale
Thé ou café ?
Café
Matin ou soir ?
Soir
Brique ou bois ?
Brique
Musée ou randonnée ?
Musée
Bureau ouvert ou fermé ?
Bureau ouvert
Action ou réaction ?
Réaction
Rénovation ou nouvelle construction ?
Rénovation
Party d’huîtres ou beach party ?
Party d’huîtres
Noir et blanc ou couleurs ?
Couleurs. Quand le choix de couleur est bien fait, c’est vraiment beau.
Passé ou futur ?
Futur
Été ou hiver ?
Été
Roman ou film ?
Roman
Autocad ou Revit ?
Je ne suis pas de la génération Revit alors je dirais Autocad, mais je comprends l’intérêt de Revit.
Modernisme ou post-modernisme ?
Je préfère le modernisme, avec un post-modernisme modéré.
Penser ou agir ?
Agir
Vélo ou voiture ?
Nos deux vélos ne bougent pas beaucoup alors je dois malheureusement dire voiture.
Maison à la campagne ou condo en ville ?
Maison en ville
Londres ou New York ?
Oh ça ! Je dois vraiment en choisir un ? Ok je vais dire Londres.
Acier ou béton ?
Ce choix est aussi difficile ! Je dirais acier, mais le béton quand c’est parfait... Comme l'ajout moderniste en béton et en pierre à la Galerie nationale à Washington par I. M. Pei, c'est un bel exemple d’alliance entre architecture ancienne et nouvelle. C’est d’ailleurs un des rares projets qui n’avait pas de limite de budget, car Paul Mellon, qui le finançait, avait donné carte blanche à l’architecte Pei en lui disant « Money is no object ». C’est excessivement rare !
D'ailleurs permettez-moi de vous partager une dernière anecdote historique dont je suis friand : au début des années 30, le père de Paul, Andrew W. Mellon, un mécène et riche banquier, avait financé la construction originale de la Galerie et avait acheté au gouvernement soviétique, par l’intermédiaire de Staline, une collection fabuleuse d’anciens tableaux appartenant au musée d’État de l’Ermitage !