Portrait de carrière : entrevue avec Nicole Pelletier, architecte directrice
Nicole Pelletier a rejoint le bureau à titre d’architecte en 1988. Initialement engagée pour trois semaines, elle a finalement dévoué 31 années à la firme, avant de prendre sa retraite en 2019. Nicole fait partie des piliers de l’équipe « santé » de Jodoin Lamarre Pratte architectes. Désireuse de faire une différence, elle a énormément contribué au développement d’une « approche patient », qui place celui-ci au cœur du processus de conception des espaces, afin de garantir une expérience positive de dispense des soins.
Ce désir de faire une différence s'est également manifesté par sa générosité et sa disponibilité au sein de l’équipe. Tout au long de sa carrière, elle a pris à cœur d’assimiler les savoirs transmis par ses mentors et de les transmettre à son tour à la nouvelle génération. Nicole lègue notamment à l’équipe une série d’outils qu’elle a développé au fil des années et qui contribue à l’intelligence collective de l’équipe santé.
En hommage à son départ à la retraite et aux trois décennies bien occupées qu’elle a dédiées à la firme, nous lui avons consacré une entrevue dans laquelle elle revient avec nous sur son expérience en tant qu’architecte, ses souvenirs professionnels et sa volonté, à son échelle, d’avoir un impact positif sur la vie des gens.
Nicole Pelletier, architecte spécialisée dans le domaine de la santé
Nicole Pelletier est devenue directrice en 2003. À la fois chargée de projet et conceptrice principale, elle a su tenir un rôle primordial dans la conception et la réalisation de projets de toutes les échelles dans le domaine des soins de santé. Impliquée à toutes les étapes d’un projet, elle a toujours été sensible à l'intégration soignée des équipements médicaux spécialisés et à la création d’environnements épurés et propices au bien-être malgré les contextes exigeants et la complexité logistique et technique des projets hospitaliers. Son approche, basée sur l'écoute attentive et la bonne compréhension des besoins de toutes les parties prenantes d’un projet, a permis le développement de solutions adaptées et innovantes, qui intègrent harmonieusement tous les aspects, tant techniques que conceptuels.
Parmi ses réalisations majeures récentes figurent le Centre intégré de dialyse Raymond-Barcelo de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, le Centre régional intégré de cancérologie à l'Hôtel-Dieu de Lévis incluant l’aménagement d’une suite de tomographie par émission de positons (TEP scan), la création d’une suite pour imagerie par résonance magnétique (IRM) à l’Hôpital général de Montréal du CUSM, le Pavillon des soins critiques de l’Hôpital général juif, le projet d’agrandissement et de modernisation majeur « Grandir en santé » du CHU Sainte-Justine, où la firme a agi à titre d’architecte maître, et l’aménagement de la clinique d’orthopédie réalisé également dans le cadre de ce mégaprojet.
L’enfance, les études et les débuts en architecture
Enfant, quel métier rêvais-tu de faire ?
Je ne rêvais pas d’être architecte ! Je voulais être océanographe, mais je me suis aperçue que j’avais le mal de mer, et j’ai aussi beaucoup de difficultés à plonger sous l’eau. Mais c’est vraiment un domaine qui m’intéressait, ce qui touchait au développement durable, à l’écologie.
À quel jeu aimais-tu le plus jouer quand tu étais enfant ?
Je me souviens que j’adorais vagabonder dehors.
Qu’est-ce qui t’a donné envie d’étudier l’architecture et de faire le métier d’architecte ?
À l’époque quand j’étais plus jeune à Québec (Nicole a grandi à Ste-Foy) il y avait des réaménagements urbains importants, l’autoroute Dufferin par exemple, qui ont détruit une partie du Vieux-Québec. Ce sont des quartiers que nous fréquentions souvent et ça m’avait un peu outrée. Je m’étais demandé pourquoi ça se passait comme ça. Au même moment il y avait un livre qui était sorti : L’habitat de l’homme (The Home of Man), de Barbara Ward. C’est ce qui m’a donné envier d’aller en architecture, pour voir comment je pourrais changer le cours des choses. Je devais avoir 14 ans environ. Je ne voyais pas l’architecture avec un grand A, c’était plutôt l’environnement qui me préoccupait.
Quel était le ratio hommes/femmes quand tu étais aux études en architecture ?
Nous n’étions pas beaucoup de femmes. J’ai fini mes études en 1982 et quand je suis sortie de l’école sur 60 étudiants nous étions 6 à 10 filles.
Comment se sont passées tes études ?
Ça s’est bien passé, j’étais à l’Université Laval et j’y ai pris beaucoup de plaisir. J’ai eu la chance de faire une session d’étude de 6 mois au Mexique en 1980 que j’ai beaucoup aimée. À l’époque en Amérique la tendance architecturale était au post-modernisme, mais moi ça ne m’intéressait pas trop. Et quand je suis allée au Mexique j’ai découvert un tout autre aspect de l’architecture, influencée par les courants espagnols. Je pense à Luis Barragan notamment. En Espagne, le régime franquiste avait limité les échanges avec l’extérieur, et les espagnols n’ont pas suivi le courant post-moderniste mais plutôt celui de l’architecture internationale, qui était une typologie qui m’intéressait plus. Et puis à l’Université Laval nous avions des professeurs qui n’embrassaient pas cette tendance post-moderniste. Je pense notamment à Pierre Jampen qui était un fan fini de Le Corbusier, et Ricardo Castro qui nous donnait les cours de théorie de l’architecture.
Quelle a été ta première expérience de travail en architecture ?
Ma première expérience a eu lieu avant de sortir de l’Université. Je travaillais à Toronto, pour les Travaux Publics Services Gouvernementaux, dans la section Design architectural et recherche. C’était très intéressant parce qu’ils me faisaient faire des détails de construction qui était avant-gardistes pour l’époque, des toitures inversées par exemple. Ça m’a fourni des connaissances de certaines méthodes de construction innovantes, et quand j’ai réalisé mon projet de fin d’études j’ai présenté des méthodes de construction que les professeurs ne connaissaient pas, ça a donné lieu à des échanges très intéressants.
Et ta première expérience dans une firme d’architectes ?
Le premier bureau où j’ai travaillé ça a été vraiment difficile. Je suis sortie de l’école en 1982, qui est l’année où il y a eu un « crash » dans l’industrie de la construction. C’était le retour de balancier des Jeux Olympiques de 1976. À Québec il n’y avait pas de travail. Donc je suis allée à Montréal où j’ai travaillé pour un bureau où nous nous faisions vraiment exploiter. On travaillait 80, 85 heures par semaine, mais il n’y avait pas d’ouvrage ! Nous nous accrochions parce qu’il fallait faire nos heures de stage. Il y avait tellement peu d’emplois, mon copain avait participé à un concours organisé par l’Université pour gagner un emploi ! Il l’a eu et il est donc parti à Ottawa. C’était fou, quand tu te promenais dans les bureaux d’architectes à Montréal il n’y avait personne dans les ateliers ! Tout le monde nous disait d’aller à Ottawa parce qu’étant la capitale nationale, le gouvernement faisait toujours en sorte qu’il y ait de la construction. Donc je suis partie à Ottawa rejoindre mon copain qui avait gagné sa job (rires) !
Combien de temps es-tu restée à Ottawa ?
Deux ans et demi. En 1984 nous avons décidé de revenir à Montréal, l’activité avait un peu repris. Je suis allée travailler pour un bureau qui s’appelait Labelle Marchand Geoffroy Bernard, qui n’existe plus aujourd’hui.
L’expérience avec Jodoin Lamarre Pratte architectes
Tu es arrivée chez Jodoin Lamarre Pratte architectes le 4 janvier 1988. Comment avais-tu entendu parler de la firme ? Comment y as-tu obtenu un emploi ?
La firme ou je travaillais (Labelle Marchand Geoffroy Bernard) a fait faillite. Mais un des patrons a téléphoné à Claude Sauvageau et m’a recommandée. Je devais rejoindre le bureau seulement pour trois semaines, mais je ne suis jamais repartie !
Te rappelles-tu de ton premier jour au bureau ? C’était comment ?
Personne ne m’attendait ! C’était juste au retour des vacances de Noël et tout le monde avait oublié. Mais le lendemain il m’ont demandé d’apporter les travaux que j’avais fait et j’ai présenté les projets sur lesquels j’avais travaillé récemment, pour qu’ils connaissent mieux mon parcours et mes compétences. Ils avaient besoin de professionnels à l’époque, car malgré la baisse d’activité il y avait quand même quelques gros projets : l'agrandissement du Musée McCord et l’UQAM notamment. Au début je faisais des petits travaux, ils testaient ce que j’étais capable de faire, puis rapidement je me suis mise à travailler sur le projet de l’Hôpital de Saint-Eustache avec Claude Sauvageau, puis sur le projet du Musée McCord sur lequel j’ai travaillé un an et demi.
Parmi les projets de la firme auxquels tu as participé, quel est celui sur lequel tu as le plus aimé travailler ?
Le projet d'agrandissement et de rénovation du Musée McCord. Ça a été une très belle expérience. C’est là que j’ai rencontré Erik Marosi qui travaillait aussi sur le projet. C’était une très belle équipe, Louis Bellefleur était responsable de l’exécution, Denis Gaudreault et Josée Bourbonnais travaillaient aussi sur ce projet.
Un autre projet que j’ai aimé, même si ça a été plus complexe c’est le projet d’agrandissement majeur et de modernisation « Grandir en santé » du Centre Hospitalier Universitaire Sainte-Justine, où nous avons fait partie de l’équipe maître. Il y a aussi eu le concours pour l’École des Hautes études commerciales (HEC Montréal) que nous avions fait avec Marosi Troy. Nous n’avons pas gagné (la firme a finalement travaillé sur le mandat remporté par Dan S. Hanganu), mais c’était vraiment un beau projet. J’étais déçue que nous n’ayons pas gagné, la programmation était très innovante, finalement très proche de ce que l’on ferait aujourd’hui, mais à l’époque ça n’avait pas séduit le comité de sélection.
Et le projet sur lequel tu as le moins aimé travailler ?
Oui il y en a un, mais je ne dirais pas lequel ! Le processus a été vraiment difficile, nous avons passé notre temps à recommencer les choses, avec des pépins tout le long.
Parmi toutes les réalisations de la firme, laquelle préfères-tu ?
Un projet que je trouve vraiment bien c’est celui du centre d’hébergement des Sœurs Grises de Montréal. C’est un projet honnête, bien proportionné.
Tu as travaillé 31 années pour Jodoin Lamarre Pratte architectes. As-tu déjà eu envie d’aller travailler pour une autre firme ?
J’étais tellement occupée, je n’ai pas eu le temps d’y penser ! (rires)
Si pendant une journée tu avais pu être une autre personne du bureau, qui aurais-tu été ?
Oh non, je ne veux pas être quelqu’un d’autre que moi !
Quel est l’événement social organisé par la firme que tu as préféré ?
Celui que j’ai beaucoup aimé c’est le 45e anniversaire de la firme qui a eu lieu au Musée McCord, et le 50e, qui a été organisé aux Pavillons Marcelle et Jean Coutu de l’Université de Montréal et pour lequel ils avaient invité tous les anciens employés de la firme. J’avais trouvé ça très agréable.
Quel est ton meilleur souvenir au sein de la firme ?
En 31 ans il y en a eu beaucoup ! Quand je suis arrivée au bureau il y avait un technicien qui s’appelait Raymond Carpentier qui était vraiment drôle. Lui et Julien Fantini, c’était des boute-en-train qui faisait toutes sorte de blagues, ce qu’on ne voit plus trop maintenant. Raymond avait un tour qu’il jouait beaucoup aux nouveaux arrivants. Il avait une brique en mousse, qui ressemblait beaucoup à une vraie brique. Il m’avait demandé mon avis : « dis Nicole, tu choisirais laquelle ? », et il me l’avait lancée droit sur moi !
Y-a-t-il quelqu’un que tu considères comme ton mentor, ou une personne qui a particulièrement influencé ta carrière ?
J’ai beaucoup travaillé avec Claude Sauvageau et j’ai beaucoup appris de lui. Par la suite j’ai également beaucoup appris en travaillant avec Michel Desrosiers, notamment sur le plan de la rigueur et pour l’aspect de la rédaction de devis.
Qu’est-ce que tu as le plus apprécié de la firme ?
La rigueur ! La volonté de produire des documents de grande qualité. La firme est connue pour cette rigueur dans l’exécution. Quand j’ai débuté chez Jodoin Lamarre Pratte architectes, Monsieur Jodoin était encore là, et il regardait tout, il s’assurait que ce que nous livrions était impeccable. C’est une belle qualité du bureau qu’il ne faut surtout par perdre. La collaboration aussi, c’est quelque chose qu'il est parfois difficile de faire aujourd’hui en raison de la façon dont se déroulent les projets, mais il y avait toujours beaucoup d’entraide. Quand on finissait un projet et qu’on voyait d’autres collègues avec beaucoup de travail, qu’ils allaient devoir travailler pendant la fin de semaine, on leur proposait spontanément de les aider. Aujourd’hui c’est toujours le cas, les gens se posent beaucoup de questions entre eux, partagent leurs expertises.
La firme a célébré en 2018 son 60e anniversaire. Que lui souhaites-tu pour les 60 prochaines années ?
De regarder en avant et pas en arrière !
As-tu des conseils à donner à la nouvelle génération de professionnels ?
Soyez à l’écoute et soyez conscients que pour arriver à un bon projet, qui dépasse les standards, il faut déployer des efforts, et du temps. La collaboration aussi c’est très important, il faut communiquer avec ses collègues, chercher ensemble plutôt qu’en silos, c’est comme ça qu’il est possible d’arriver à des solutions vraiment intéressantes.
Si tu devais résumer en un mot ta carrière chez Jodoin Lamarre Pratte architectes, ce serait lequel ?
Occupée ! Mais surtout « Santé ». Quand je suis arrivée à la firme j’ai commencé à travailler sur le projet de l’Hôpital de Saint-Eustache, ensuite j’ai fait quelques autres projets hors du domaine de la santé, mais après ça j’ai travaillé sur l’Hôpital Fleury, des projets à l’Hôpital Royal Victoria, puis un projet d’Hôpital au Koweït (1998) que j’ai beaucoup aimé. C’était un projet en santé mais avec une culture tellement différente de la nôtre, donc il y avait tout un arrimage à faire entre les normes nord-américaines de développement d’un hôpital et la culture locale. Le projet n’a finalement pas pu se faire en raison de conflits politiques dans la région. Les projets se sont enchaînés et c’est comme ça que je me suis spécialisée dans ce secteur.
Le métier d’architecte
Qui est ton architecte préféré ? Celui qui t’inspire le plus ?
Alvar Aalto, très créatif tout en étant d’une grande simplicité. J’aime beaucoup aussi les écrits de Louis Kahn, « Between Silence and Light » par exemple.
Tu es architecte depuis plus de 30 années. Qu’est-ce qui a le plus changé dans le métier selon toi ?
Il y a plusieurs choses qui ont changé. Sur le plan purement architectural, c’est la panoplie de matériaux disponibles, qui rendent les choix extrêmement compliqués. Avant il n’y avait pas beaucoup de matériaux, mais aujourd’hui il y a tellement de choix, ça demande beaucoup de rigueur, il faut bien enquêter pour s’assurer que le matériau aura une bonne performance. Les manières de réaliser les projets se sont aussi multipliées : partenariat public-privé, clé en main, gérance de construction... Ces façons de travailler n’existaient pas avant, et malheureusement elles amènent parfois l’architecte en bas de l’échelle décisionnelle. C’est un changement que je trouve un peu difficile par rapport à la façon dont on procédait au début de ma carrière et ces modes de réalisation ne sont à mon avis pas toujours d’excellents garants de la qualité architecturale.
Penses-tu que l’informatisation de la pratique et l’utilisation d’outils comme le BIM (Building Information Modeling) permet de faire de meilleurs projets ?
Personnellement j’ai appris à utiliser Autocad sur le tas. Je ne peux pas produire tout un projet, mais je suis capable de sortir un petit détail. Quand ces outils se sont développés, les chargés de projet se faisait beaucoup dire qu’ils n’avaient pas besoin d’apprendre à utiliser Autocad, puisque ce n’était pas eux qui dessineraient, mais je trouvais ça un peu frustrant. Je voulais être capable de regarder l’avancement des plans, de vérifier les dessins.
Revit c’est sûr que c’est un outil formidable. Après ça ne veut pas dire que ça va permettre aux gens d’être de meilleurs architectes, mais si tu donnes un bon outil à un bon architecte ça va l’aider à aller plus loin dans sa démarche.
La profession s’est largement féminisée au fil des ans. Trouves-tu que cela a eu une influence sur la manière de travailler et de faire de l’architecture ?
Personnellement je suis pour la parité. Aujourd’hui il y a beaucoup plus de femmes que d’hommes qui sortent des formations en architecture, ce n’est pas propre à l’architecture d’ailleurs, et la question est de savoir comment intéresser plus les garçons à aller à l’université. Je trouve que les hommes ont plutôt tendance à prendre des décisions rapidement, alors que les femmes vont s’assurer d’avoir étudié la question sous tous ses angles. C’est général ce que je dis, après ça dépend des personnalités, mais ce sont des tendances.
Est-ce que c’était difficile en tant que femme ?
Je n’ai jamais vraiment senti de différence entre les hommes et les femmes au bureau. Le seul moment où je me suis aperçue que j’étais une femme dans un domaine d’hommes c’est quand j’ai commencé à faire du chantier. Sauf qu'au chantier, quand tu es en charge des demandes de paiement et que, quand quelque chose ne marche pas, tu coupes le paiement, ils s’aperçoivent rapidement qu’il ne faut pas te niaiser ! (rires) J’étais jeune quand j’ai commencé à faire du chantier, je sortais quasiment de l’école et on faisait les projets du début à la fin, pas comme aujourd’hui où c’est plus découpé.
Quelle est selon toi la recette d’un bon projet ?
Pour chaque projet la recette est un peu différente, mais parmi les ingrédients clés il y a une bonne communication avec le client, comprendre son besoin et pourquoi il veut faire le projet. Une bonne équipe aussi, pour arriver à un bon résultat, et puis il faut mettre les efforts.
Quel est le projet le plus complexe sur lequel tu as travaillé ?
Je dirais que c'est le dernier projet sur lequel j'ai travaillé : l’installation de trois unités de résonnance magnétique à l’Hôpital général de Montréal. Ce n’est pas un gros projet, mais c’est une insertion d’équipements médicaux spécialisés dans un bâtiment qui n’a pas été conçu pour ça et c'était extrêmement complexe.
La vie professionnelle et personnelle
En rétrospective, est-ce que ce métier t’a apporté ce que tu cherchais ?
Je voulais faire de l’architecture pour avoir la possibilité de changer les choses et je pense que dans le domaine de la santé nous l’avons fait. Nous avons apporté une autre approche. Je me souviens notamment d’avoir travaillé avec un médecin, Dr Reeves. Il était cardiologue et il se demandait pourquoi les services plus techniques, comme l’hémodynamie par exemple, qui exigent beaucoup d’équipements, avaient si peu « d’approche patient ». Il y a encore quelques années ces secteurs ressemblaient presque à des garages ! L’approche patient est quelque chose que nous avons beaucoup développé au bureau.
Je me souviens d’une fois, je faisais une visite de site à l’unité de psychiatrie de l’Hôpital général juif et il y avait un patient avec moi dans l’ascenseur, apparemment il avait le droit de se promener pendant vingt minutes. J’arrive dans le nouveau hall d’entrée, que nous avions fait avec Marosi Troy, et ce patient qui était juste à côté de moi me dis « j’aime venir ici quand j’ai le droit à mes vingt minutes, je n’ai pas l’impression d’être dans un hôpital ». Et j’étais vraiment contente d’entendre ça, parce que c’est exactement pour ça qu’on travaille. Un autre exemple c’est quand je suis allée visiter un CHSLD que nous avions conçu. Nous nous étions battus pour avoir des fenêtres jusqu’à terre, une vue sur le jardin, et tous les résidents avaient le nez à la fenêtre !
Donc oui, à la petite échelle où j'ai travaillé j’ai quand même réussi à changer les choses.
Quelles ont été tes plus grandes satisfactions professionnelles et personnelles ?
Ma plus grande satisfaction personnelle c’est d’avoir eu deux beaux garçons, une famille. Sur le plan professionnel c’est d’avoir réussi sur de nombreux projets à pousser notre approche et à mettre en place des stratégies qui contribuent au bien-être des patients.
On dit souvent que les professionnels de l’architecture ne comptent pas leurs heures, as-tu trouvé difficile de combiner vie personnelle et professionnelle durant ta carrière ?
Oui ! J’avoue que c’est ce que j’ai trouvé le plus difficile dans ma carrière. Pour obtenir un résultat exceptionnel en architecture, il faut y mettre les heures, surtout au vu des échéanciers qui sont serrés. J’ai un conjoint qui lui non plus ne compte pas ses heures, et donc la conciliation travail / famille n’a pas toujours été évidente.
Quel a été le moment le plus difficile de ta carrière ?
Il y a des choses que je n’aime pas faire, négocier les honoraires notamment je n’aime pas ça !
Quel a été le plus grand défi ?
Quand nous avons travaillé sur la proposition technique pour le nouveau CHUM. Ça nous a vraiment sorti de notre zone de confort, devoir faire un hôpital de cette taille au complet. J’étais en charge de tout le secteur diagnostique et thérapeutique, le bloc opératoire, l’hémodynamie, l’électrophysiologie, soit toutes les composantes complexes. Il y avait des choses dans ce projet que nous n’avions jamais fait avant, et il fallait aller vite, c’était un grand défi. Mais on a appris énormément et ça nous a servi dans d’autres projets.
Qu’es-tu le plus fière d’avoir accompli ?
D’avoir essayé de communiquer ce que je sais à mon équipe. J’ai aimé transmettre mon savoir, et j’en ai reçu aussi en retour car chacun apporte son propre bagage dont j’ai pu bénéficier.
Quelle rencontre professionnelle a été ton coup de cœur ?
Ma rencontre avec le cardiologue, Dr Reeves dont je parlais précédemment. C’était quelqu’un de très généreux, et il avait vraiment cette « approche patient ». Je l’avais rencontré quand nous faisions les salles d’hémodynamie à l’Hôtel-Dieu. Bien que le projet soit complexe du fait de l’intégration dans un bâtiment existant, c’est un des premiers projets où nous avons vraiment développé une approche centrée sur le patient.
Tu es partie à la retraite l’été dernier, qu’est ce qui va le plus te manquer ?
Le contact avec l’équipe. J’aime bien travailler avec les « jeunes » qui ont commencé avec moi, Stéphanie Boudreau, Marie-Michèle Larocque, Geneviève Leclerc, Hubert Lemieux, tout le monde !
Et le moins te manquer ?
Les heures ! En fait ce qui va le moins me manquer, et c’est pour ça que je prends ma retraite, c’est tout le temps que ça me prend. Quand je m’implique sur un projet je m’implique à 100% et ça ne me laisse pas beaucoup de temps pour faire d’autres choses.
Est-ce que l’architecture va faire partir de ta retraite ?
Je n’irais pas travailler pour une autre firme. J’ai un projet de rénovation chez moi en cours, mais sinon c’est sûr que l’architecture fera toujours partie de ma vie, c’est un intérêt qui sera toujours là.
En rafale
Thé ou café ?
Café
Matin ou soir ?
Matin
Brique ou bois ?
Bois
Musée ou randonnée ?
Musée
Bureau ouvert ou fermé ?
Bureau ouvert. J’ai eu un bureau fermé sur un projet et j’avais trouvé ça épouvantable
Action ou réaction ?
Action
Rénovation ou nouvelle construction ?
J’aime mieux faire des nouvelles constructions.
Party d’huîtres ou Beach party ?
Party d’huîtres
Noir et blanc ou couleurs ?
Noir et blanc
Passé ou futur ?
Futur
Été ou hiver ?
Hiver, en fait non, j’aime les deux.
Roman ou film ?
Les deux !
Autocad ou Revit ?
Revit. Même si je ne travaille pas sur Revit je vois le potentiel.
Modernisme ou post-modernisme ?
Modernisme sans hésiter !
Penser ou agir ?
C’est mieux de penser avant d’agir.
Vélo ou voiture ?
Vélo
Maison à la campagne ou condo en ville ?
Maison à la campagne même si je vis en ville.
Londres ou New York ?
New York
Acier ou béton ?
Béton
Photo : de gauche à droite, Denis Gaudreault, Michel Bourassa, Louis Bellefleur, Michel Desrosiers, Nicole Pelletier et Claude Sauvageau autour des plans du projet de rénovation et d'agrandissement du Musée McCord (1992)