Portrait de carrière : entrevue avec Michel Bourassa, architecte associé principal
Michel Bourassa a rejoint la firme en 1983, peu de temps après avoir achevé ses études en architecture à l’Université de Montréal. Travaillant au sein de l’équipe de surveillance de chantier, il devient directeur en 1990 puis associé principal en 1996. Fier porteur du flambeau légué par les fondateurs de la firme, Michel Bourassa a toujours défendu leurs valeurs de rigueur, d’intégrité et d’efficacité et a largement contribué à l’organisation d’une solide équipe de surveillants de chantier, pour laquelle il a développé de nombreux outils et standardisé les méthodes de travail.
En hommage à son départ à la retraite et aux 35 années qu’il a dédiées à la firme, nous lui avons consacré une entrevue dans laquelle il revient avec nous sur sa carrière, son expérience en tant que patron, ses souvenirs à la firme et sa perspective sur l’évolution de la pratique.
Michel Bourassa, architecte spécialisé en surveillance de chantier
Dès son entrée au sein de la firme, Michel Bourassa a manifesté un intérêt marqué pour la technologie du bâtiment, la surveillance des travaux et la gestion des contrats de construction. Sous le mentorat de Bernard Jodoin et Michel Desrosiers, il a développé ces champs d’activités propres à l’architecture. Il fut responsable des volets de la surveillance de chantier et de l’administration des contrats de construction pour la firme de 1996 à 2018.
De nombreuses réalisations d’importance ont bénéficié de son sens de l’organisation, de sa rigueur et de ses connaissances des différents modes de mise en œuvre et des multiples conditions affectant un chantier, telles que le Pavillon pour la paix Michal et Renata Hornstein du Musée des Beaux-arts de Montréal, la rénovation et le réaménagement des foyers et de la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts de Montréal, la Bibliothèque Raymond-Lévesque à Longueuil, l’agrandissement majeur 1999-2005 de l’aéroport Montréal-Trudeau et l’agrandissement de la jetée internationale en 2016, l'École des Hautes Études Commerciales (HEC Montréal), l’agrandissement et la rénovation du Musée McCord d’histoire canadienne, le Siège social et le centre de formation d’Air Canada à Dorval, et le Pavillon Thérèse Casgrain du Campus de l’Université du Québec à Montréal.
Il a réalisé des projets en lots multiples, en gérance de projet, en gérance de construction, à prix coûtant majoré (cost-plus), en mode accéléré (fast track), en mode traditionnel (coût forfaitaire), à prix unitaires ainsi que selon plusieurs variantes de ceux-ci. Les aspects légaux touchant la réalisation des projets et plus largement l’industrie de la construction ont été au cœur de ses préoccupations. Fort de son expérience, il a mis sur pied un manuel interne de procédures de surveillance de chantier afin d’assurer l’homogénéité des opérations au sein des membres de l’équipe.
L’enfance
Enfant, quel métier rêvais-tu de faire ?
J’ai toujours été attiré par le milieu de la construction. Mon père était dessinateur en mécanique de bâtiment et avant ça, il était ferblantier. Nous parlions beaucoup de construction dans ma jeunesse donc j’avais déjà un bon aperçu de ce qu’était ce milieu.
Où as-tu grandi ?
À Trois-Rivières jusqu’à l’âge de 6, 7 ans. Puis la famille a déménagé à Laval où j’ai vécu presque 15 ans. Aujourd’hui je vis à Montréal, près du stade olympique.
À quel jeu aimais-tu le plus jouer quand tu étais enfant ?
Quand j’étais petit, à Trois-Rivières, nous jouions aux indiens et aux cowboys. Nous vivions dans un vieux quartier avec des ruelles et nous y passions beaucoup de temps. À l’époque, je me souviens, le laitier passait encore à cheval, imaginez-vous !
Les études et les débuts en architecture
Qu’est-ce qui t’a donné envie d’étudier l’architecture et de faire le métier d’architecte ?
Au départ je ne pensais pas vraiment devenir architecte. Je voyais que le milieu de la construction offrait des possibilités et en suivant les traces de mon père, je me voyais bien technicien. J’ai fait une technique en architecture au Cégep de Saint-Laurent, et au fil des cours je voyais toutes sortes de projets réalisés par des architectes différents, ce qui m’a donné envie d’étudier l’architecture à l’Université. Je me suis donc inscrit à l’Université de Montréal. À l’époque les effectifs en architecture étaient très contingentés, environ 60 personnes par année, et c’était rare que l’université accueille des élèves qui venaient de la technique en architecture. Le profil « standard » était plutôt des élèves qui avaient étudié les sciences pures. Mais cette année-là, l’université a ouvert davantage ses portes à des profils comme le mien, avec l’idée que le mélange de profils techniques et théoriques serait bénéfique à tous, et à terme bénéfique pour la profession.
Quel était le ratio hommes/femmes quand tu étais aux études en architecture ?
Ce n’était pas celui d’aujourd’hui c’est sûr. J’ai fait mes études collégiales au milieu des années 1970. En technique il devait y avoir environ 5 filles sur 40 étudiants. À l’université je pense qu’il y avait 8 filles sur 60 étudiants.
Comment se sont passées tes études ?
Ça s’est très bien passé. J’étais ce qu’on appelle un premier de classe, j’avais une facilité à comprendre les exercices qui étaient demandés. Tout ce qui est aujourd’hui fait sur un ordinateur, nous devions tout dessiner à la main, et donc nous faisions beaucoup de dessins pour sortir nos projets. À l’université j’avais une longueur d’avance grâce à ma technique en architecture, qui me permettait d’être assez performant en dessins.
Quelle a été ta première expérience de travail en architecture ?
En sortant de l’université j’ai fait environ 8 mois de stage chez un architecte d’origine grecque. À l’époque les rues Prince Arthur et Duluth à Montréal étaient en plein développement. Tous les restaurants et autres institutions grecques s’y implantaient. Cet architecte était impliqué dans les travaux d’aménagements de restaurants. Nous étions trois dans son bureau, lui, un autre stagiaire —qui était d’ailleurs un de mes amis—, et moi. J’avais eu le poste via une connaissance qui nous avait mis en relation. Elle savait qu’il cherchait de la main d’œuvre et que je venais de finir l’université. J’ai commencé avec lui dès le lendemain et ma première journée, il y avait un rush, je suis sorti du bureau à 3 h du matin !
Est-ce que ce stage s’est bien passé ?
Oui. C’est sûr que c’était à petite échelle, nous étions seulement trois. C’était principalement pour des clients qui achetaient des maisons et les transformaient en restaurant. Donc il fallait aller faire les relevés, faire les dessins de l’existant, le concept et les dessins d’exécution du nouveau restaurant, etc. Ce bureau faisait très peu de surveillance, nous faisions surtout la préparation des plans et devis. J’en garde de bons souvenirs, c’était une ambiance très familiale. Vers 10 h le matin son épouse venait nous servir le café grec, avec des petits biscuits, c’était très cool.
L’expérience avec Jodoin Lamarre Pratte architectes
Tu es arrivé chez Jodoin Lamarre Pratte architectes le 22 août 1983. Comment avais-tu entendu parler de la firme et comment y as-tu obtenu un emploi ?
J’ai entendu parler de Jodoin Lamarre Pratte architectes durant mes études, car j’avais travaillé pendant plusieurs étés au service technique du Collège de Rosemont. La firme y a réalisé un agrandissement majeur dans les années 80. Quand j’ai commencé à y travailler le projet venait de se terminer, et Monsieur Jodoin venait encore à quelques réunions. Je le voyais et j’étais très impressionné. Il avait une prestance, c’est quelqu’un qui avait une grosse voix basse et une figure assez sévère. Il faisait un peu peur, surtout aux entrepreneurs ! Mais au-delà de cette carapace c’était vraiment quelqu’un de bien, de très intelligent aussi. Il a beaucoup développé l’aspect technique du bureau. Il était très scientifique, il aimait beaucoup les mathématiques et était très intéressé par les nouvelles techniques de construction. C’était vraiment le patron de la technique.
Pendant que je faisais mon stage chez mon premier employeur, je cherchais toujours dans d’autres bureaux et j’avais donc déposé mon CV chez Jodoin Lamarre Pratte. Un jour j’ai reçu un appel de Gérard Pratte, m’informant que la firme souhaitait me rencontrer. J’ai fait ma première entrevue avec deux piliers du bureau, Michel Desrosiers et Bernard Jodoin. Ils cherchaient quelqu’un pour faire la surveillance d’un projet de remplacement de fenêtre à l’Hôpital Louis-H. Lafontaine. Il y avait 827 fenêtres à remplacer. C’était un hôpital psychiatrique, et nous travaillions en milieu occupé. Remplacer une fenêtre dans une chambre occupée par un patient psychiatrique ce n’est pas toujours simple ! Monsieur Jodoin a été mon mentor sur le projet, il m’a accompagné les premiers mois puis j’ai gagné en autonomie.
Tu as donc été engagé dès le départ pour travailler en surveillance de chantier ?
Oui. Au début de ma carrière je voulais aussi explorer d’autres aspects de la profession et j’ai demandé à faire de l’atelier. J’ai travaillé sur quelques petits mandats, mais finalement j’ai vite compris que ma place était plutôt en surveillance. Je trouvais que la préparation des plans n’était pas un processus assez linéaire. Il fallait attendre, avoir les approbations du client, attendre les demandes de permis… Ce n’était pas vraiment dans ma nature d’attendre et d’être retardé par toutes sortes de circonstances externes. En tant que surveillant on dépend moins de ressources externes. C’est sûr qu’il faut travailler avec l’entrepreneur, mais j’ai toujours trouvé ça plus facile à gérer.
Parmi les projets de la firme auxquels tu as participé, quel est celui sur lequel tu as le plus aimé travailler ?
Je suis comme un père de famille, j’aime tous mes enfants à parts égales ! Plus sérieusement, j’ai bien aimé le projet d’agrandissement du Musée McCord. C’était un petit bijou. La superficie n’est pas si grande, mais nous avons tout fait : de la réfection, de la rénovation, de l’agrandissement. Ce projet était un condensé de toutes les activités qu’un architecte pouvait faire. J’étais en charge de la surveillance de chantier et je travaillais avec Josée Bourbonnais qui m’assistait au quotidien. J’ai aussi aimé le projet d’HEC Montréal. C’est un projet qui peut paraître austère de l’extérieur, mais à l’intérieur c’est de toute beauté. Les espaces sont vraiment particuliers avec la présence continuelle de la nature, de la forêt et du roc. On appelait d’ailleurs le bâtiment « la morsure », car la montagne semble l’avoir croqué en plein cœur. Et puis tous les projets à l’aéroport Montréal-Trudeau, qui sont très intéressants car nous avons suivi Aéroports de Montréal dans leur désir de renouveau, ils nous ont vraiment fait confiance et nous avons travaillé avec eux à établir de nombreux standards.
Et le projet sur lequel tu as le moins aimé travailler ?
C’est comme les enfants, je les aime tous pareil, et s’il y en a un que j’aime moins je ne peux pas le dire ! (rires)
Alors un projet qui t’a donné le plus de fil à retordre ?
C’est une bonne question parce que chaque projet à ses difficultés propres. Je dirais que de manière générale ce sont les projets en milieu hospitalier qui sont les plus difficiles, notamment à cause de l’intégration des équipements médicaux. Ce sont également des projets qui sont souvent réalisés en lieux occupés, ce qui entraîne beaucoup de gestion en plus des difficultés techniques liées au fait de travailler dans l’existant.
Parmi toutes les réalisations de la firme, laquelle préfères-tu ?
Je dirais la restauration de la chapelle du Sacré-Cœur de la basilique Notre-Dame qui a été récompensée par de nombreux prix.
Tu as travaillé 35 années pour Jodoin Lamarre Pratte architectes. As-tu déjà eu envie d’aller travailler pour une autre firme ?
Non, dès que je suis entré je n’ai jamais eu l’intention de partir. J’ai toujours été très à l’aise et à l’époque où j’ai rejoint la firme, Jodoin Lamarre Pratte était déjà un bureau phare à Montréal. C’était un des cinq plus gros bureaux de la ville et il était déjà reconnu pour sa rigueur et ses capacités techniques. J’ai toujours été fier de travailler ici.
Si pendant une journée tu avais pu être une autre personne du bureau, qui aurais-tu été ?
J’aimais beaucoup Michel Desrosiers, il a été mon mentor pendant de nombreuses années. Un peu comme Monsieur Jodoin, c’était quelqu’un qui dégageait une certaine sévérité mais c’était un chic type, avec un humour effrayant. Il était aussi d’une rigueur incroyable. Il travaillait beaucoup sur les devis et c’était lui qui était en charge du contrôle qualité au bureau. C’était un bourreau de travail et son apport à la firme est très important. Je m’identifiais beaucoup à lui.
Quel est l’événement social organisé par la firme que tu as préféré ?
Dans les années 80, 90, nous étions plusieurs à jouer au hockey et nous organisions des parties au CEPSUM à l’Université de Montréal. Nous jouions le soir, nous étions assez nombreux pour faire deux équipes et nous avions deux filles dans les buts. En général, après nous allions boire un verre sur le boulevard Saint-Laurent. Pendant plusieurs années nous avons aussi organisé des randonnées dans les Laurentides ou l’Est américain. La première fois que nous avons fait ça nous avions demandé à l’architecte Michel Dupuis – qui est un randonneur quasiment professionnel – de l’organiser. Il avait décidé d’aller au mont Mansfield dans les Adirondacks. C’est une grosse montagne, et personne n’était vraiment ni suffisamment en forme, ni suffisamment équipé. En bas il faisait 20 degrés et en haut il neigeait ! Ça a duré toute la journée, nous sommes revenus à 22 h, ça n’avait pas de bon sens !
Quel est ton meilleur souvenir au sein de la firme ?
Ce sont de multiples souvenirs. Quand nous déposions une offre de services et que nous gagnions le projet, c’était une victoire, c’est très valorisant. Nous marquions souvent le coup, quand nous gagnions un projet ou que nous en achevions un, en allant chercher une caisse de bières et en rassemblant l’équipe. Ça faisait partie de l’esprit familial de la firme et ça soudait l’équipe.
Qu’est-ce que tu as le plus apprécié de la firme ?
Sa franchise, son honnêteté. C’est quelque chose qui est venu des fondateurs, ils ont toujours respecté les règles. Que ce soit au niveau des relations avec les entrepreneurs, dans l’administration des contrats, dans la gestion du personnel, tout a toujours été fait avec éthique et intégrité.
Tu as été associé principal de 1996 à 2018. Quel a été ton plus grand défi en tant que patron ?
En 1996 nous sommes devenus 5 associés. Marc Laurendeau, Jean Martin, et moi-même avons rejoint Maurice Cabana et Michel Desrosiers. C’est aussi l’année où l’industrie de la construction est descendue à son plus bas. Nous avons décidé de garder le maximum de personnes en mettant en place du temps partagé. Marc Laurendeau, Jean Martin et moi nous nous sommes un peu demandé dans quoi nous nous étions embarqués ! Mais cette baisse d’activité n’a pas duré longtemps et la croissance est repartie, surtout à partir du moment où nous avons commencé à travailler sur des projets pour Aéroports de Montréal. Le bureau n’a cessé de croître depuis et une des difficultés a été de gérer cette équipe en croissance. Répartir les projets fait partie des tâches à gérer en devenant patron, ce que je n’avais jamais eu à faire auparavant.
Le carnet de commande est-il vraiment plus gros qu’avant ?
Nous avons toujours eu beaucoup de projets mais pas de l’envergure de ceux sur lesquels nous travaillons aujourd’hui. Aujourd’hui, notre carnet de commande est vraiment impressionnant.
Souhaites-tu au bureau de continuer à croître ?
Je ne suis pas forcément un partisan de la croissance à outrance. Et je ne pense pas que l’objectif des associés actuels soit de devenir le plus grand bureau d’architectes au Québec. L’objectif ultime c’est d’être le meilleur bureau d’architectes !
La firme a célébré en 2018 son 60e anniversaire. Que lui souhaites-tu pour les 60 prochaines années ?
La même réputation qu’elle a aujourd’hui. Et de continuer à se renouveler dans le même esprit de continuité, qui est une philosophie propre à notre firme. Quand les associés initiaux sont partis, ils ont légué les activités à une nouvelle génération de dirigeants et la firme leur a ainsi survécu. Il y a eu plusieurs renouvellements des associés depuis, des départs, de nouvelles arrivées, et j’espère que ça va continuer comme ça. J’aime comparer le bureau à un train. Il est sur des rails, dans la locomotive il y a des dirigeants, parfois certains partent et d’autres conducteurs viennent les remplacer, mais le train lui, avance toujours sur les mêmes voies.
Est-ce que c’est pour ça que la firme a toujours gardé le même nom ?
Quand les associés fondateurs sont partis, nous aurions normalement dû changer le nom de la firme selon les règlements de l’OAQ à l’époque. Mais nous voulions garder le nom de Jodoin Lamarre Pratte, pour ce qu’il représentait, pour la réputation de l’entreprise qui était associée au nom. Nous avons fait une demande de dérogation et nous avons finalement eu gain de cause.
As-tu des conseils à donner à la nouvelle génération de professionnels ?
Être reconnaissant de l’héritage auxquels ils ont accès en travaillant chez Jodoin Lamarre Pratte. Toujours dans cet esprit de continuité, la nouvelle génération doit porter les valeurs de la firme, et assurer le même niveau de qualité dans les projets.
Si tu devais résumer en un mot ta carrière chez Jodoin Lamarre Pratte architectes, ce serait lequel ?
Je dirais « fierté ». Être devenu patron est une de mes grandes fiertés et je pense avoir transmis à l’équipe actuelle des valeurs que j’avais héritées de ceux avant moi : la rigueur, l’honnêteté, l’intégrité, l’efficacité. Je suis également fier d’avoir transmis plusieurs méthodes de travail.
Le métier d’architecte
Qui est ton architecte préféré ? Celui qui t’inspire le plus ?
Frank Lloyd Wright, mais aussi Le Corbusier. Quand je suis allé en France je suis allé visiter la Chapelle Notre-Dame-du Haut à Ronchamp, que je voyais dans les revues depuis des années. Ce qui m’impressionne chez ces deux architectes, c’est leur intemporalité. Frank Lloyd Wright était d’une originalité incroyable, Le Corbusier aussi. À Paris j’étais dans un quartier où Le Corbusier avait fait un petit immeuble d’habitation. Et encore aujourd’hui c’est extrêmement futuriste, alors que ça a été construit en 1920. Ces architectes étaient en avance sur leur temps, et ils ont influencé toute l’architecture mondiale.
Tu es architecte depuis plus de 35 années. Qu’est-ce qui a le plus changé dans le métier selon toi ?
Les outils de production. Avant nous travaillions plus lentement, avec des instruments moins performants, des crayons, des équerres, une règle parallèle. Les communications étaient plus lentes aussi, lorsque nous avions besoin d’un renseignement du client il devait nous envoyer des documents par la poste, ça prenait plusieurs jours. Aujourd’hui ça n’a plus rien à voir.
Je me rappelle quand le fax est arrivé au bureau. C’était la révolution technique ! Nous pouvions envoyer des documents et le destinataire les recevaient instantanément. Aujourd’hui les fax sont dans les musées mais ça a vraiment changé la donne, ce que nous faisions en 5 jours pouvait maintenant être fait en deux heures.
Depuis 30 ans, les techniques de construction ont aussi beaucoup changé. Toute la science du bâtiment s’est beaucoup développée, que ce soit au niveau des matériaux, des assemblages d’enveloppe, de la réglementation… C’est très visible lorsque les architectes spécifient les matériaux. À une certaine époque nous aurions seulement spécifié « utiliser des panneaux de verre ». Aujourd’hui ces panneaux doivent être conformes à telle ou telle norme, avoir une hauteur et une épaisseur spécifiques, avoir été soumis à des tests particuliers, etc.
Penses-tu que l’informatisation de la pratique et l’utilisation d’outils comme le BIM (Building Information Modeling) permet de faire de meilleurs projets ?
Ça permet des audaces qui étaient impossibles auparavant. Chaque époque a ses particularités d’expression architecturale, il y a eu l’époque de la maçonnerie de brique, puis de l’acier et du verre, ou encore l’utilisation d’acier galvanisé dans une expression plus industrielle. Aujourd’hui le mot d’ordre c’est la légèreté : des murs-rideaux avec très peu de meneaux, beaucoup de lumière naturelle. Et ces formes architecturales ont été rendues possible en partie par l’outil informatique et la capacité à élaborer des détails très complexes et très précis. Mais peu importe les outils technologiques employés pour concevoir, la construction reste un métier artisanal, manuel, fait par des humains, d’où l’importance du rôle de surveillant de chantier.
La profession s’est largement féminisée au fil des ans. Trouves-tu que cela a eu une influence sur la manière de travailler et de faire de l’architecture ?
Dans le produit fini je ne pense pas. Dans ma sphère d’activité j’observe que les surveillantes de chantier sont grandement respectées et appréciées tant à l’interne qu’à l’externe.
Quelle est selon toi la recette d’un bon projet ?
Un bon client, de bons ingénieurs, de bons entrepreneurs. Un bon client c’est le plus important, quelqu’un qui comprend ce que nous faisons pour lui. Quand nous avons la chance d’avoir un client qui est bien impliqué dans son projet, qui a de bonnes relations avec l’équipe et qui nous accompagne dans le développement du projet, c’est un gage de réussite.
Quel est le projet le plus complexe sur lequel tu as travaillé ?
À cause de l’échelle je dirais le projet d’HEC Montréal. En plus de la très grande superficie, il y avait aussi beaucoup de détails innovateurs, donc eu un gros travail à faire durant la surveillance de chantier. Le projet étant sur le flanc du mont Royal a ajouté des difficultés supplémentaires liées à l’excavation et à la protection des arbres.
La vie professionnelle et personnelle
En rétrospective, est-ce que ce métier t’a apporté ce que tu cherchais ?
Au départ tout le monde a une vision un peu enjolivée du métier d’architecte. Avec un père dans la construction, je pensais avoir une assez bonne idée de ce qu’allait être le métier, mais ça m’a quand même demandé une capacité d’adaptation. La surveillance de chantier c’est ce que j’aime appeler le « côté sombre de la force ». Quand un projet est terminé on voit beaucoup le côté « glamour » du design, on ne voit pas toujours toutes les difficultés qu’il y a eu durant le chantier. C’est un métier qui demande une grande capacité de gestion, beaucoup de rigueur et aussi une certaine maturité.
Quelles ont été tes plus grandes satisfactions professionnelles et personnelles ?
Une grande satisfaction a été d’être dirigeant de la firme pendant de nombreuses années et d’avoir contribué à son développement, de l’avoir amenée là où elle est aujourd’hui.
On dit souvent que les professionnels de l’architecture ne comptent pas leurs heures, as-tu trouvé difficile de combiner vie personnelle et professionnelle durant ta carrière ?
Oui, mais comme ma conjointe travaille aussi en architecture elle faisait aussi de longues heures, et elle connaissait les exigences du métier.
Quel a été le moment le plus difficile de ta carrière ?
La gestion de certaines mises en demeure majeures. Toutes les démarches administratives et légales qui en découlent sont très complexes et très stressantes. C’est ce que j’ai le moins aimé dans ma carrière, ce sont des moments difficiles à gérer.
Quelle rencontre professionnelle a été ton coup de cœur ?
Mes premières rencontres avec Bernard Jodoin et Michel Desrosiers. Ces personnes ont été mes mentors, elles m’ont donné la foi de continuer et j’ai beaucoup appris d’eux.
Tu es parti à la retraite au 1er janvier 2019, qu’est ce qui va le plus te manquer ?
L’énergie du bureau, les contacts humains, de rencontrer tout le monde. Je pense que ça va peut-être s’estomper avec le temps, mais pour l’instant je sens vraiment le changement de rythme. La collégialité va me manquer aussi. Chez Jodoin Lamarre Pratte il n’y a pas de vedettes, tout le monde a en tête le bien-être de la firme.
Et le moins te manquer ?
Les tâches administratives de patron, de gestion de bureau. Ce sont des tâches qui sont très prenantes et qui demandent de prendre des décisions stratégiques. C’est un travail intéressant mais qui demandent beaucoup d’énergie. Lorsque nous avons pris la décision d’agrandir nos bureaux par exemple, ça a demandé beaucoup de réflexion, savoir si c’était le bon choix, s’il ne fallait pas mieux déménager, il y a eu beaucoup de questionnements. Peut-être que dans dix ans il faudra déménager dans un immeuble plus grand pour loger tout le monde !
Est-ce que l’architecture va faire partir de ta retraite ?
Je dirais plutôt non. Je ne suis plus membre actif de l’Ordre. Je suis maintenant « architecte retraité » et ce statut ne me permet plus d’apposer mon sceau professionnel. J’ai acheté une maison à la campagne et j’y vis quelques jours par semaine, je fais du sport aussi et puis je pars en voyages. Je vais peut-être développer d’autres intérêts au cours de ma retraite mais c’est encore récent, je dois m’acclimater à cette nouvelle vie !
En rafale
Thé ou café ?
Café
Matin ou soir ?
Matin
Brique ou bois ?
Bois
Musée ou randonnée ?
Ça c’est dur de choisir, c’est d’égale valeur !
Bureau ouvert ou fermé ?
Bureau fermé, mais la porte ouverte !
Action ou réaction ?
Action
Rénovation ou nouvelle construction ?
Rénovation
Party d’huîtres ou Beach party ?
Party d’huîtres !
Noir et blanc ou couleurs ?
Noir et blanc
Passé ou futur ?
Hum, pour l’exercice je vais dire futur.
Été ou hiver ?
Moi c’est l’automne !
Roman ou film ?
Depuis quelques temps roman
Autocad ou Revit ?
Équerre et crayons (rires)
Modernisme ou post-modernisme ?
Modernisme
Penser ou agir ?
Agir !
Vélo ou voiture ?
Malheureusement je vais dire voiture.
Maison à la campagne ou condo en ville ?
Valeur égale !
Londres ou New York ?
Londres
Acier ou béton ?
Béton